Trois places pour le 26 devaient marquer la réconciliation de Jacques Demy avec le succès et un genre qu’il a inventé de toutes pièces, la comédie musicale française. Au lendemain du triomphe de Jean de Florette avec Yves Montand, Claude Berri décide de produire ce projet initié dans les années 1970 par Jacques Demy qui pensait déjà au chanteur-comédien dans le rôle principal. Le cinéaste dispose d’un temps de tournage et de moyens financiers très confortables. Tous les ingrédients sont réunis pour mettre en scène un film récapitulatif et nostalgique, un voyage dans le Demy-monde. La comédie musicale est abordée sur un mode conventionnel : Trois places pour le 26, loin de recréer un univers entièrement dansé et chanté, reprennent le prétexte des coulisses d’un spectacle en train de se faire, dans la tradition des classiques hollywoodiens. Le sujet du film est le retour aux sources, celui du personnage principal, mais aussi du cinéaste qui renoue avec sa première période. Mais tout procède du décalage, du déplacement et, parfois, du malaise. Marseille n’est pas Nantes, Montand le personnage n’est pas tout à fait Montand la personnalité publique, les années 1980 ne sont pas les années 1960, les visions et les envies d’un auteur populaire comme Jacques Demy ne correspondent plus au goût et aux attentes du grand public. Cet acharnement à aller contre l’état des choses et l’époque du tournage transforment l’ultime film du cinéaste en objet étrange, à la fois inactuel et familier. Ce dernier tour de piste confirme de manière cruelle, après l’échec douloureux et injuste d’Une chambre en ville et celui, prévisible, de Parking, le divorce de Jacques Demy avec les spectateurs. Une fois encore, les choses ne se passeront pas comme prévu. On a l’impression que c’est le film où le cinéaste, ce rêveur opiniâtre, se heurte le plus violemment aux dures contingences du réel. Yves Montand est trop vieux pour le rôle, Mathilda May ne retrouve pas la grâce de la jeune Catherine Deneuve, Michel Legrand ne fait plus chanter la France entière. Et Jacques Demy, atteint par le mal qui devait l’emporter le 27 octobre 1990, est hospitalisé deux fois pendant le tournage. Les scènes les plus réussies concernent le personnage de Marie-Hélène, superbement interprétée par Françoise Fabian, dernière des nombreuses mères célibataires dans la filmographie du cinéaste. Trois places pour le 26 prolongent un travail d’explicitation entrepris dans Parking. Le thème de l’inceste, sous-jacent dans plusieurs films de Demy, est ici abordé de manière triviale, sans la moindre dimension tragique ou scabreuse. Ce n’est pas un tabou que l’on brise, c’est un petit accident du destin qui va permettre au film de se conclure sur une note heureuse. Tandis que de nombreux personnages de Demy ont passé leur vie à se croiser, à se rater ou à se perdre, Manon, Marie-Hélène et Montand s’unissent charnellement puis sentimentalement. Pour que la fille retrouve son père, la grande figure absente de l’œuvre de Demy, il faut d’abord qu’elle couche avec lui. Manon prend la place de sa mère avant de replonger celle-ci dans les bras de son amant. C’est le paradoxe final d’une œuvre hantée par le départ et la rupture, et qui se termine sur des retrouvailles familiales et amoureuses.