Elle qui pour commencer fut une grande photographe a exploré toutes les variantes des images qui bougent, toutes les possibilités par elles offertes, et toutes les fantaisies. Et comme à ses yeux, sans doute, ce n’était pas encore assez, elle a inventé des formes qui n’appartiennent qu’à elle, qui font que ses films ne ressemblent à aucun autre, comme composés d’une infinité de miroirs tendus à des spectateurs qui ne peuvent que s’y reconnaître. Son histoire, telle qu’elle la raconte par exemple dans Les Plages d’Agnès, est celle d’une enfant de la Belgique qui en temps de guerre échoua sur une rive de la Méditerranée avec ses parents, son frère.

Le cinéma, alors, comme souvent avec elle, sert à faire revenir les morts, à confronter les êtres aux enfants qu’ils étaient jadis et à traquer leurs ressemblances avec les gamins de maintenant. Chez Agnès Varda, le passé se mêle au présent, l’ici et l’ailleurs se marient, en viennent à se confondre, Jacques Demy rencontre Jim Morrison, le Cuba de la révolution déboule rue Daguerre, entraînant avec lui l’Amérique en guerre au Vietnam, le sable file entre les doigts, les ombres qui glissent dans les rues, sur les marchés, deviennent des Glaneurs et des glaneuses, une jolie fille qui n’a pas encore dix-huit ans se fait vagabonde, cheveux raides de crasse et ongles en deuil, elle se nomme Mona et aussi Sandrine Bonnaire, le film s’appelle Sans toit ni loi. Tout n’y est que sensation, le gel, la peur, les sardines qu’on mange avec les doigts, pierres qui roulent sur le chemin, bruissement des feuilles dans le vent, c’est du documentaire et aussi de la fiction, les deux en même temps, l’un contre l’autre se frottent et ensemble ils se nourrissent, voilà c’est le cinéma, le cinéma d’Agnès Varda.

Rien de cela ne se peut expliquer vraiment, une part de mystère demeure, et c’est très bien ainsi, mais ce mystère aussi, elle entend l’offrir en partage, en donnant à voir, à entendre, à ressentir, à éprouver, et encore en en parlant, en se souvenant, il s’agit bien toujours d’échange. Alors, en sa compagnie, avec elle, refaire le voyage, les voyages plutôt, des plages de Belgique à celles de Californie, de Jacquot de Nantes à la Mona qui meurt de froid, de Sète à Noirmoutier, de ceux qu’elle a connus à ceux qu’elle a imaginés, mais en vérité les uns se distinguent peu des autres, d’aujourd’hui à hier, de là-bas à ici.

Pascal Mérigeau Critique au Nouvel Observateur, Pil a publié plusieurs ouvrages sur le cinéma dont Pialat (Éd. Ramsay, 2007), Cinéma : autopsie d’un meurtre (Éd. Flammarion, 2007) et Depardieu (Éd. Flammarion, 2008).