Penser que Crying Freeman de Christophe Gans est la première adaptation d’un manga tournée en anglais par un réalisateur français, c’est oublier l’étonnante Lady Oscar, production japonaise interprétée par des comédiens britanniques et mise en scène par Jacques Demy dans les décors naturels de Versailles, Jossigny et Senlis. Demy, véritable exilé dans son propre pays, est contacté par un producteur japonais qui souhaite porter à l’écran une bande dessinée à succès, Rose of Versailles de Ryoko Ikeda. Faute de pouvoir monter ses ambitieux projets Anouchka et Une chambre en ville, le cinéaste accepte cette commande excentrique. Il réalise en un temps record le film voulu par ses commanditaires, avec le savoir-faire et la précision des meilleurs artisans d’Hollywood. Seules les quelques scènes d’action et la prise de la Bastille souffrent à l’écran de la précipitation du tournage et des restrictions budgétaires. Si le film est fidèle à l’œuvre originale, Demy réussit également un long métrage très personnel qui lui permet d’aborder une nouvelle fois ses thèmes de prédilection, les amours contrariés et les jeux du hasard et de la fatalité, dans une fantaisie historique constituée de plusieurs récits croisés. Venant après la princesse souillon de Peau d’âne et l’homme enceint de L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune, Lady Oscar est la nouvelle héroïne transgenre de Demy, mi-femme mi-homme par son accoutrement, mais pure incarnation de la beauté féminine classique. Cette idée de femme travestie existait déjà dans Lola, La Baie des Anges ou Les Demoiselles de Rochefort. Les égéries de Demy jouent et surjouent la féminité outrancière grâce à un fétichisme très particulier du maquillage, des vêtements et des sous-vêtements. Au contraire, la féminité d’Oscar est dissimulée par l’uniforme pour mieux triompher dans une scène de nu narcissique, surprenante et sans équivalent dans l’œuvre du cinéaste. Lady Oscar permet à Jacques Demy d’exacerber sa passion pour les costumes et les déguisements. Oscar est une femme habillée en soldat, mais elle ne renonce ni à son amour pour les hommes, ni à son pouvoir d’attraction sur eux. Son inclinaison sentimentale et sexuelle demeure sans ambiguïté. Malgré un baiser provocateur à une courtisane lors de la scène de bal, il n’est pas question d’homosexualité dans le film, ni de travestissement ou de confusion sexuelle puisque Lady Oscar ne cesse d’être femme aux yeux de ceux qui l’aiment ou la convoitent, et à ses propres yeux. Cette féminité empêchée et bridée, prisonnière d’une situation paradoxale, verra sa libération survenir en même temps que l’insurrection d’un peuple, Demy organisant une brillante symétrie entre la révolte d’Oscar et la Révolution française. Lady Oscar s’inscrit dans la veine libertaire des films réalisés dans les années 1970 par Jacques Demy, pour qui «  politique  » rime toujours avec « poétique ». Lady Oscar est une nouvelle variation autour de la passion malheureuse, avec un final tragique en hommage aux Enfants du paradis de Marcel Carné, où la joie de la foule contraste avec la détresse d’Oscar, enfin femme mais immédiatement veuve. Demy n’abordera de front le thème de la bisexualité que dans Parking, un film beaucoup moins satisfaisant que cette Lady Oscar à réévaluer d’urgence.